Tour à tour décorateur, tapissier, ou encore fabricant de mobilier et de luminaires, Mathieu Matégot (1910-2001) n’a de cesse de créer tout au long de sa carrière. Dès la seconde partie des années 40, il se fait remarquer à travers la fabrication de petit mobilier et d’objets du quotidien en métal perforé auquel il donne toute sorte de forme, les seules limites étant celle de son imaginaire poétique. Il participe au renouveau de l’habitat d’après guerre avec une nouvelle forme d’expression, alliant élégance et originalité tout en utilisant des techniques de fabrication novatrices. Il façonne la tôle ajouré comme personne, lui conférant des formes quasi organiques et faisant de lui un véritable couturier du métal. Son esprit libre et précurseur fera de lui l’un créateur ayant marqué son époque d’une emprunte indélébile.
A DECOUVERTE DU METAL PERFORE
C’est lors de sa détention en Allemagne pendant la seconde guerre mondiale que Mathieu Matégot imagine ce qui deviendra plus tard sa marque de fabrique : le métal perforé. Dès 1945, Il commence à développer une ligne de petit mobilier incluant, des ranges revues, des portes parapluies, des corbeilles ou bien des caches pots en utilisant de nouvelles techniques pour plier le métal qu’il développe lui même au sien de son propre atelier. Il répond parfaitement à la demande de la reconstruction d’après guerre : du mobilier économique, sans fioritures et léger en rupture avec le style ornementale et imposant des décennies précédentes. Il rencontre un vif un succès, ses créations apportant une certaine poésie à la décoration des intérieurs avec des formes aérienne encore jamais vues jusqu’ici. En 1954 il développe également la tôle Java, sorte de plaque de métal ondulée complétée de trou laissant passer la lumière dans le cadre de luminaire ou bien de laisser apparaitre le contenant pour des portes revues par exemple. Il finira par breveter son invention sous le nom de rigitulle le 14 février 1952 avec la description suivante : « Métal perforé en feuilles, notamment en feuilles ondulées, meubles divers, paniers métalliques, corbeilles métalliques. »
LES MATERIAUX
Si la tôle perforée est intimement liée à la renommée et au rayonnement de Mathieu Matégot, ce dernier utilise également d’autres matériaux dans la fabrication de son mobilier comme le rotin qui est sa seconde matière de prédilection après le métal, il l’utilise d’ailleurs dès le milieu des années 30 dans le cadre du montage de ses décors de théâtre. Le rotin est dans l’air du temps pendant les années 50 car financièrement accessible et disponible en quantité importante. Matégot ne s’y trompe pas et l’associe régulièrement dans le cadre de fabrication d’objets courants à base de métal perforé comme des plateaux ou des portes bouteilles ainsi que dans une très rare version de sa chaise Nagasaki. Il travaille également le cuir, le bois, la tôle émaillée et même le verre via des plateaux de tables qu’il ira même jusqu’à graver. Ce n’est qu’à la toute fin des années 50 qu’il s’intéresse à des matériaux plus chics comme le laiton, succombant aux sirènes de la mode caractérisée alors par un certain embourgeoisement.
LA LUMIERE SELON MATEGOT
Les luminaires occupent une place clé dans l’ameublement des intérieurs français d’après-guerre. Ils doivent évidemment faire office d’éclairage mais la diffusion de la lumière est étudiée avec finesse et rien n’ai laissé au hasard. A l’instar de ses contemporains Serge Mouille et Michel Buffet, les lampes de Matégot ne dérogent pas à la règle et procurent une réelle atmosphère dans la pièce qu’ils occupent. L’utilisation de la tôle Java ainsi que du rigitulle sur les abats jours permettent une diffusion de la lumière tout en poésie et en légèreté, une façon d’éclairer encore inédite dans les années 50. Les suspensions satellites constituées d’une coque ovoîde en rigitulle complétée d’un réflecteur en tôle d’acier plié en sont la parfaite manifestation. Il dessine également la lampe à poser Bagdad en 1954, composée de plusieurs facettes de tôle perforée laquée surmontée d’une petite boule en laiton, cette pièce fut éditée en très peu d’exemplaire ce qui lui permet d’atteindre des records en salle de vente (entre 15000Eur et 25000Eur), par ailleurs, il arrive régulièrement d’en voir passer sur certains sites d’enchère en ligne, ne vous méprenez pas, il s’agit à chaque fois de grossières copies malheureusement.
LA TAPISSERIE COMME FIL CONDUCTEUR
On connaît Matégot en tant qu’artisan du métal dont il fera l’éloge tout au long des années 50, néanmoins, la passion qui animera le créateur du début à la fin de sa carrière c’est la tapisserie. Il découvre cet art à la fin des années 40 par l’intermédiaire de Jean Lurçat avant de le mettre entre parenthèse la décennie suivante pour s’adonner à la fabrication de mobilier. Ayant fait le tour de ce qu’il pouvait proposer en terme d’ameublement, il retourne à ses premières amours dès le début des années 60 sous l’égide de Denise Majorel. Il fait preuve d’un grande maîtrise de la discipline et est reconnu par ses pairs jusque dans le milieu des années 70, période à laquelle la tapisserie tombe quelque en désuétude. Il continuera à s’adonner à cet art jusque dans les années 90, donnant naissance à quelques 629 tapisseries originales tout au long de sa carrière.
INTERVIEW DE PHILIPPE JOUSSE – GALERIE JOUSSE ENTREPRISE
Vous avez écrit et édité le premier catalogue raisonné sur Mathieu Matégot en 2003, à quand remonte votre première rétrospective sur ce créateur?
Nous avons réalisé notre première grande exposition sur Matégot à la Villa Noailles en 2002 mais nous avons commencé à collecter des pièces dès les années 80. Il nous a fallu un peu de temps avant de monter une exposition car les pièces maîtresses sont très rares, quelques fois fabriquées à moins de 10 exemplaires, il est donc assez difficile de réunir des séries complètes comme le salon Nagasaki ou Santiago par exemple. Nous avons exposé une seconde fois une sélection de mobilier de Matégot en 2012.
En quoi Matégot se différencie-t-il des autres designers de sa génération?
Il se singularise de ses contemporains à plus d’un titre, il débute en tant que peintre décorateur de théâtre et tapissier avant la seconde guerre mondiale et poursuit sa carrière dans la production de mobilier pendant les années 50. C’est un esprit libre, qui s’occupera intégralement du processus de fabrication de ses créations, du dessin à la distribution en passant par la fabrication et la promotion. Son mobilier, pouvant être utilisé aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur est emprunt de poésie et d’une certaine légèreté conférée par la transparence de son métal perforé.
Suites aux différentes expositions et publications parues, pensez-vous qu’il est aujourd’hui plus facile de chiner des pièces de Matégot?
Les livres et catalogues peuvent effectivement faciliter l’identification des pièces, il n’en reste pas moins que certaines créations sont devenues introuvables car éditées à très peu d’exemplaire à l’origine comme ses salons de jardin ou bien ses luminaires. Par ailleurs, sa côte n’a cessé d’augmenter au fur et à mesure des années. En ce qui concerne le petit mobilier d’ameublement comme les portes parapluies ou les portes revues par exemple, les trouvailles sont encore possibles.
Quelles sont la ou les pièces que vous affectionnez le plus?
J’ai une faiblesse pour la chaise Nagasaki et ses lignes très organiques, l’ensemble Kyoto et les suspensions satellites dont le dessin est d’une rare élégance diffusant une lumière douce à travers le rigitulle, un rapport très intéressant entre l’ombre et la lumière.
CHINER DES PIÈCES DE MATEGOT
S’il peut apparaitre relativement aisé de chiner des pièces de Matégot étant donné le nombre important de ses créations au cours des années 50 notamment en terme de petit ameublement comme des plateaux, des caches pots, ou encore des portes revues, il y a quelques pièges à éviter. En effet, une grande majorité du mobilier en métal perforée attribuée à Mathieu Matégot sur le web n’est en réalité jamais sorti de ses ateliers, il faudra donc affiner votre œil en vous procurant les publications existantes sur son travail ainsi qu’en manipulant des pièces originales pour vous familiariser suffisamment pour ne pas vous faire duper. Il existe de nombreuses copies ou inspirations approximatives de Matégot sur le marché, néanmoins lorsque l’on s’attache aux détails, les soudures et les proportions sont très rarement de la même précision et de la même finesse que les créations originales. De plus si vous tombez sur une pièce que vous identifiez comme étant authentique et que le prix correspond peu ou prou à sa côté moyenne, veillez à bien vérifier que la peinture soit d’origine, en cas de revente, c’est un atout indéniable. Pour ce qui est du mobilier plus imposant comme les assises et les tables, ce sera un peu plus difficile car ce sont des pièces diffusées à très peu d’exemplaires en leur temps et qu’ il en reste donc quasiment plus sur le marché de la seconde main, d’autant que pour tout ce qui est mobilier de jardin, la corrosion aura souvent eu raison du métal.
LES REEDITIONS GUBI
Fondée en 1967 par le couple danois Gubi & Lisbeth Olsen, la maison GUBI réédite une sélection de meubles et d’objets de Mathieu Matégot depuis quelques années maintenant. Au catalogue de Gubi vous trouverez : la chaise et le tabouret Nagasaki, la table Kangourou, les étagères Dédal, une desserte sur roulettes, une table d’appoint en verre fumé, l’étagère Demon, un porte manteau, ainsi que le fauteuil et la table basse Copacabana. Les célèbres suspensions satellites en rigitulle sont également prévues et déjà référencées chez les distributeurs, cependant, la production est retardée car le résultat des premiers prototypes n’est pas satisfaisant. Cela met une fois de plus en avant l’inventivité et l’aspect précurseur du travail de Matégot car 70 ans plus tard, alors que les techniques de fabrication ont considérablement évolué, Gubi ne parvient pas à maitriser le rigitulle. Au niveau des tarifs, nous sommes bien entendu à des niveaux de prix beaucoup plus abordables que des pièces originales mais avec un intérêt bien moindre, comme pour toute réédition, la patine étant absente tout comme le côté historique de l’objet. Ce qui peut apparaitre un bon compromis, comme par exemple l’achat d’une étagère Dédal neuve chez l’éditeur danois au prix de 290Eur (contre 800Eur à 1200Eur en moyenne pour une édition originale) se révèle souvent être une erreur car on s’en lasse très vite et le prix à la revente diminue au moins de moitié par rapport au prix retail. Je ne saurais que trop vous conseiller de vous armer de patience afin de prendre le temps de dénicher une version d’époque pour un budget raisonnable.
BIBLIOGRAPHIE
Mathieu Matégot – Philippe Jousse et Caroline Mondineau – Edition : Galerie Jousse Entreprise – 2003
Mathieu Matégot – Patrick Favardin et Galerie Matthieu Richard – Edition : Norma – 2014
Crédit photo : Galerie Matthieu Richard, Artcurial, Piasa, Cornette de St Cyr, Tajan, Aguttes, Leclere MDV, Wright Auction.